Histoire de la musique populaire anglophone
Projet individuel, automne 2003
Professeur : Philip Tagg
Faculté de musique, Université de Montréal
Brian Eno
par
Nicolas Orton
Date de remise : 3 Décembre 2004
Brian Eno.
Dans l’industrie musicale dite populaire, le consommateur moyen de musique n’est exposé qu’à la façade que présente l’artiste. La construction d’un son et d’une image, autant pour un musicien que pour un album en particulier, est généralement un travail d’équipe qui inclut un large éventail de participants qui peut aller du personnel de marketing jusqu’au preneur de son. Certaines personnes, pendant leur carrière, jouent plusieurs de ces rôles et exercent une grande influence sur l’auditoire ainsi que sur les musiciens qu’ils côtoient. À notre avis, Brian Eno est un très bon exemple de ce type de participant au sein l’univers de la musique populaire.
Compositeur, producteur, concepteur sonore et artiste
audio-visuel, il est plutôt difficile, à l’image de Frank Zappa, de catégoriser
le travail de Brian Eno d’une perspective globale. Il vaut mieux tenter de dégager
les activités qui lui on valut la reconnaissance et le respect de l’industrie
dans lequel il évolue. Étant donné l’étendue de ses activités, la musique populaire,
la musique classique contemporaine et les arts plastiques réclament tous leur
part d’autorité à son sujet. Pour des besoins de synthèse, nous nous pencherons
sur quelques concepts-clé qui, à notre avis, définissent plutôt bien le travail
de Brian Eno, nous verrons ensuite en quoi ces idées créent des liens entre
les divers univers artistiques que nous venons de nommer. Après un bref survol
biographique, nous verrons le concept de musique ambiante[1],
ensuite nous enchaînerons avec l’idée de musique générative, intimement lié
au premier sujet suggéré. Nous terminerons l’essai avec un aperçu de ce que Eno appelle
les Sstratégies
Oobliques.
Quelques notes biographiques.
Brian Eno est né en 1948 à Woodbridge, dans le Suffolk, en Angleterre. Son cheminement académique ressemble à celui de plusieurs musiciens émergeants de cette époque et qui auront une grande influence sur l’avenir de la musique populaire anglophone. Après un séjour dans une école catholique de sa ville natale il poursuit ses études dans une école d’art[2], celle d’Ipswich. Plus tard, il se rend à l’école des beaux-arts de Winchester ou il obtient son diplôme en 1968. Parmi ses collègues de classe qu’il vaut la peine de mentionner, notons la présence de Heinz Hughes et Trevor Bell. Il quitte Winchester l’année suivante pour tenter sa vie à Londres. Peu de temps après il se joint au groupe Roxy Music pour lequel, selon In Motion Magazine[3], il est manipulateur de sons. Déjà, la carrière de Eno s’oriente vers la conception sonore, une passion qu’il a héritée de ses années d’étude pendant lesquels ils s’est voué à l’installation audio-visuelle. Il quitte Roxy Music en 1973 pour poursuivre une carrière individuelle. Jusqu’à la fin des années 70’ ses activités peuvent être résumées par la production et la conception de plusieurs disques[4]et la réalisation d’installations utilisant la lumière, la vidéo, les diapositives et le son. Depuis cette époque, Brian Eno a continué sa carrière solo avec 16 albums, dont le dernier : Neroli remonte à 1993. À notre avis, l’album le plus important à retenir est Ambient I : Music for Airports, sorti en 1978. C’est ce dernier disque qui aura le plus grand impact quant à la diffusion de la musique ambiante, idée qui caractérise probablement le plus l’univers sonore du musicien-concepteur.
Pour bien comprendre l’impact et l’influence de Eno dans l’histoire de la musique populaire, nous croyons utile de nommer quelques-unes des personnes avec lesquelles il a collaboré[5]. En ce qui concerne la musique populaire nommons : Roxy Music, Talking Heads, David Bowie, Robert Fripp, John Cale, Daniel Lanois et U2.
Sa grande polyvalence et sa curiosité lui ont également mené à des collaborations avec des musiciens plus associés à la musique classique contemporaine dont, Gavin Bryars, Terry Riley, Micheal Nyman et John Cage.
Musique Ambiante.
« La musique d’ameublement est foncièrement industrielle. L’habitude – l’usage – est de faire de la musique dans les occasions ou la musique n’a rien à faire (…) Nous, nous voulons satisfaire un besoin utile, L’art n’entre pas dans ces besoins. La musique d’ameublement crée de la vibration; elle n’a pas d’autre but; elle remplit le même rôle que la lumière, la chaleur et le confort sous toutes ses formes[6]. »
Cette citation, tiré des Écrits d’Erik Satie, est, à notre avis, la base d’une philosophie adopté par plusieurs musiciens dans divers domaines et utilisé à plusieurs sauces. John Cage, dont les idées sur l’art ont révolutionné la manière de concevoir la musique des générations de musiciens après-lui et ces idées de composition basé sur la non-intervention et la non-intention Zen, s’inspirent directement de la musique d’ameublement de Satie. Si John Cage appartient traditionnellement plus au domaine de l’avant-garde classique, Brian Eno, lui, est généralement associé à la musique populaire. Son concept de musique ambiante s’inscrit aussi dans la lignée de la pensée de Satie et de Cage, tout en comportant des différences esthétiques importantes. Notons que, en 1976, Eno et Cage participent ensemble au disque Voices and Instruments. Cet événement signifie une collaboration directe entre l’avant-garde classique et un artiste issu de la musique populaire. Ce genre d’échange n’est pas unique, mais Eno demeure un élément d’inter- influence important en établissant un pont, pratique et idéologique, entre les deux domaines musicaux.
Qu’est-ce que la musique ambiante ? Quoi-que le terme soit assez auto-descriptif Brian Eno la définit sa fonction comme suit :
« L’Ambient music doit être capable de s’adapter à de nombreux niveaux d’attention d’écoute sans privilégier un en particulier. Elle doit être aussi intéressante que facile à ignorer[7]. »
Ambient I : Music for Airports, est le premier disque d’Eno explicitement appartenant au style de musique ambiante. Il choisit ce terme pour décrire un style de musique déjà en voie d’émergence. L’esthétique principale du genre est de fournir un milieu sonore (ambiance) pour agrémenter des lieux et des activités quotidiennes. Une description qui retrouve des échos dans l’écologie sonore du compositeur canadien Murray Schafer ainsi que dans la philosophie du Muzzak développé dans les année 50’. L’idée que la musique devienne un outil primordial pour agrémenter les milieux d’activités du quotidien est intimement lié au développement et la diffusion de la radio et des autres médias audio. D’abord centralisateur de par sa nouveauté lors de sa création, la relative facilité d’obtenir de l’équipement de diffusion sonore sature les milieux de vie de musique et altère fondamentalement la perception des auditeurs face à ce média. La musique est rapidement relégué au rôle d’outil d’agrément du quotidien. Satie, déjà en 1920, avait la clairvoyance de se rendre compte du phénomène et n’hésita pas à en profiter. Brian Eno en fait de même quelques 50 années plus tard.
En tentant l’expérience de la musique ambiante avec Music for Airports, Eno allait à l’encontre des idées qui dominaient encore l’industrie du disque dans les années 1970. C’est à dire produire des disques pour des gens qui ont une durée d’attention brève, veulent de la nouveauté et surtout sont friands de paroles et de voix. Notons que Music for Airports est un album purement instrumental et ne contient donc pas de paroles.
Mais malgré cette perception de l’industrie, Eno remarque que lui et ses amis utilisaient surtout la musique comme fond dans leur soirées ou chez eux. Les paroles n’avaient que peu d’importance dans le fond puisqu’elles n’étaient rarement écoutés avec attention sauf exception.
En plus de ce genre d’expériences de philosophie acoustique, Eno s’intéresse beaucoup au développement de la lutherie électronique qui, en évoluant, permet la création de textures complexes électroniques et d’espaces virtuels, par le biais de haut-parleurs plus performants. L’idée et les outils arrivés à un niveau de maturité acceptable, tout ce qu’il manque est un événement déclencheur. En fait, la lutherie électronique, surtout utilisé lors de la production et la post-production des albums devient, avec Eno, l’instrument principal de création et de diffusion, à l’image de certaines musiques de Karlheinz Stockhausen et des disciples de Pierre Schaeffer dans les milieux classiques contemporains.
L’élément déclencheur arrive en 1977 lorsque Brian Eno se retrouve à l’Aéroport de Cologne. Selon le musicien, l’endroit était vide, et l’espace imposant du bâtiment était acoustiquement attirant. Il commence donc à ce demander quel genre de musique y sonnerait bien ? Il décrit la musique qui lui est venu à l’esprit comme suit :
[1] Traduction libre de l’auteur de ce texte du terme anglais Ambient Music
[2] Traduction de l’anglais Art-School
[3] Site Internet : www.inmotionmagazine.com
[4] Voir l’annexe à la fin de ce document pour avoir une liste chronologique de la production de Brian Eno.
[5] Une liste plus exhaustive est fournie à la fin de ce texte. Voir l’annexe.
[6] Satie, E., Écrits, p.190, Champs Libre, 1977, Paris.
[7] Tiré des notes de disques de l’album Ambient I : Music for Airports, Virgin, 1978
[8] Eno B., Brian Eno Journal : Une année aux
appendices gonflés, p.357Tiré des notes de l’album Ambient I : Music for Airports,
Virgin, 1978
[9] Tiré des notes de disques de l’album Ambient I : Music for Airports, Virgin, 1978
[10] Idem.
[11] Brian Eno en entrevue, 1978.
[12] Eno B., Brian Eno Journal : Une année aux appendices gonflés, p.471
[13] Idem.
[14] Eno B., Brian Eno: une année aux appendices gonflés, p.473
[15] Ibid. p.415
[16] Quelques exemples sont fournis à la fin de ce texte en guise d’exemple. (voir l’annexe II)
[17] Une liste des collaborations est fournie en annexe à la fin de ce texte. (voir l’annexe I)